On remarquera que le contenu de la lettre de Tristan à Marc est déjà connu, puisque Béroul a fait dire à Ogrin ce qu'il “allait écrire”... cela ne l'empêche pourtant pas de nous en redonner tous les détails, et même un peu plus : on voit bien, en cela, qu'il s'agissait au moins à l'origine d'une œuvre destinée à être lue devant un public : non seulement c'est une façon de “résumer le chapitre précédent”, pour ceux qui arriveraient en cours de récit, mais c'est aussi une façon de “faire durer le plaisir”, pourrait-on dire ! |
2510. |
Li rois esvelle son barnage. |
2510. |
Le roi réveille ses barons. |
2512. |
Le brief li tent qu'a en la main. |
2512. |
La lettre qu'il tient à la main : |
2516. |
Les moz a tost toz conneüz, |
2516. |
Il en a lu le contenu, |
2520. |
Qar sa feme forment amot. |
2520. |
Car il aime beaucoup sa femme. |
2524. |
Li rois parla, il sont teü : |
2524. |
Le roi parla — ils se sont tus. |
2528. |
Et qant liz sera li escriz, |
2528. |
Et quand vous l'aurez écouté, |
2532. |
Dist a ses pers : « Seignors, oiez. |
2532. |
Il dit à ses pairs : « Écoutez ! |
2536. |
Face le bien, lest la folie. |
2536. |
Qu'il parle, mais sans nous tromper. |
2540. |
Et pus, solonc le mandement, |
2540. |
Et puis, selon ce qu'il nous dit, |
2544. |
Ne puet faire greignor mervelle. » |
2544. |
Est bien la pire des horreurs. » |
2548. |
Oiant nos toz, de chief en chief. » |
2548. |
Lisez donc, et de bout en bout. » |
2552. |
« Or escoutez, entendez moi. |
2552. |
« Écoutez donc, écoutez moi ! |
2556. |
» Rois, tu sez bien le mariage |
2556. |
«Roi, tu le sais, du mariage |
2560. |
» Le grant serpent cresté ocis, |
2560. |
« Le grand dragon, je l'ai occis, |
2564. |
» Si que virent ti chevalier. |
2564. |
« En témoignent tes chevaliers. |
2568. |
» Ge sui tot prest que gage en donge, |
2568. |
« Et je suis prêt à me pourvoir |
2572. |
» (Chascuns ait armes par egal), |
2572. |
« Combattant à armes égales, |
2576. |
» Et en ta cort moi deraisnier, |
2576. |
« Et à ta cour me justifier, |
2580. |
» Ne me face ardoir, ou jugier. |
2580. |
« De me voir brûlé et sans vie. |
2584. |
» S'en aorames Damledé. |
2584. |
« Car nous l'avons tant imploré... |
2588. |
» Li volïez doner la mort. |
2588. |
« De vouloir lui donner la mort ! |
2592. |
» As malades en decepline. |
2592. |
« Aux lépreux pour la châtier. |
2596. |
» Qant a tort dut por moi morir. |
2596. |
« Car pour moi elle eut dû mourir. |
2600. |
» Vos feïstes un ban crïer |
2600. |
« Votre ban avez fait crier |
2604. |
» Mais, s'or estoit vostre plesir |
2604. |
« Mais si tel est votre désir, |
2608. |
» Se l'uen vos met en autre voie, |
2608. |
« Si l'on vous pousse en autre voie |
2612. |
» Passerai m'en outre la mer. |
2612. |
« Parler, car la mer franchirai. |
2616. |
» Ou g'en merrai la fille au roi |
2616. |
« Ou je ramène Yseut au roi, |
2620. |
« Sire, n'a plus en cest escrit. » |
2620. |
« Il n'est rien d'autre en cet écrit. » |
Le brief Le roi Marc fait lire par con “chapelain” la lettre que Tristan lui a remise. C'est l'usage, mais Marc sait-il lire lui-même ? Rien n'est moins sûr... Pas plus que Tristan ne sait écrire, peut-être, lui qui a fait écrire sa lettre par l'ermite...Charlemagne ne savait ni lire ni écrire ; cela ne l'a pas empêché de promouvoir l'enseignement... Et de nos jours, nous avons connu des ministres de la culture incultes, n'est-ce pas ? Sans parler de certain Président.
À la fin du XIIe siècle, les gens d'église étaient encore à peu près les seuls à avoir reçu une véritable éducation. Saint-Louis aurait écrit lui-même certaines lettres, mais un siècle plus tard.
marchis Le mot évoque plutôt de nos jours les personnages de la cour du roi à Versailles, mais il était déjà employé au haut-moyen âge, pour désigner le chef militaire d'une marche, un territoire frontalier du royaume ou de l'Empire de Charlemagne.